Propositions Janvier 2014

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Oniros
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Message par Oniros »

Alors pour mes joueurs de Sorcellerie qui se sont portés volontaires je vous fais, comme promis, une petite présentation du jeu, accompagnés de pistes de départ pour que vous puissiez commencer à cogiter sur votre perso :
Le jeu Sorcellerie présente un monde dystopique, à savoir, la terre à la fin du XXème siècle où des phénomènes surnaturels se produisent de plus en plus fréquemment, énigmes qui font le bonheur de la presse à sensations et suscite l'inquiétude des initiés. Car dans ce monde alternatif, l'ensemble des traditions occultes de l'humanité ont une réalité tangible : certaines personnes sont dotées de pouvoirs étranges qui se sont transmis au fil des générations depuis la nuit des temps. Des forces occultes extraordinaires sont à l'oeuvre dans les replis de la réalité et du temps. L'homme est souvent la proie de prédateurs issus des légendes mais qui existent bel et bien et dont seules quelques sociétés secrètes ayant levé un coin du voile connaissent l'existence. Certaines veulent asservir l'humanité en profitant de l'Apocalypse annoncée alors que d'autres sont persuadés que s'ils ne luttent pas, l'humanité est perdue corps et âme. Une chose est sûre, l'heure du jugement approche, de sombres entités ressèrent leur étau inexorablement mais des femmes et des hommes différents des autres se lèvent pour combattre et juguler cette menace qui se précise. Ce sont les élus, d'aucuns diraient des mages, des sorciers... Ils ne sont pas seuls : des créatures inhumaines déterminés à protéger la terre se joignent à eux de temps à autres : faés, change-formes, semi-vampires ou encore Ephraïms (humains quasi immortels arcanistes). Vous incarnez ces types de personnages menant des enquêtes sur d'étranges affaires où peut surgir l'innomable à tout instant.
ça c'est le contexte de base. En ce qui concerne plus précisément le contexte que je vous propose, j'ai décalé la ligne temporelle au XIXème siècle afin d'avoir une ambiance particulière : une époque où superstition et religion se confondent encore parfois, faisant front face à la science qui progresse à grand pas. Les premiers effets de la révolution industrielle se manifestent,changeant en profondeur le monde occidental. C'est aussi une période d'effervescence culturelle incroyable. La date du premier scénar sera 1863, il y a tout juste 150 ans. Sinon pour vous donner une idée de l'ambiance : une bonne dose de Chtulhu by gaslight, une louche de Maléfices, un peu de monde des ténèbres, une cuillère de Kult, un zest de Crimes et voilà.
Question inspiration : David Lynch, Cronenberg, Coppola, David Fincher, Tim Burton, C. Nolan, Alan Parker... Pour la musique, du doom, du Goth, du BlackMétal Sympho, du classique (Romantiques), Nike Cave ;) , Angelo Badalamenti et d'autres trucs...

Donc les natures de pjs proposés sont : Bast et autres changes-formes, Ephraïms, semi-Vampires, Faéries, Profanes (humain normal) et humains psioniques.
Les formes de magie pour Ephraïms :
vaudou, chamanisme, Alchimie, Wicca, Ogham (druides), Tatouages et Taos du Wushu (asiatiques)
Les facultés psy pour humains :
guerisseurs mystiques, pyrokinésie, clairvoyant, spirite (contact et contrôle des morts).

Les professions possibles : Dilettante (bourgeois ou aristo), Monte en l'air, vagabond (tsigane, gitans...), Etudiant, journaliste, policier, Soldat, Détective conseil, Médecin, Avocat, Artiste, chef d'entreprise, Psychanalyste, Enseignant.

Voilà vous avez de quoi faire d'ici Janvier.
Oniros
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Message par Oniros »

Bon alors personne ne se manifeste ?? je croyais pourtatn avoir 4 joueurs pour Sorcellerie en janvier.
Etaient concernés pour mémoire :
Taline
Bacchus
Viracocha
et Kyryahn.


Dans ce cas, on va faire une séance "IRL" de création de perso au club, un vendredi soir tranquillou avec ambiance musicale.
Ce serait parfait le vendredi 13 décembre. Ben oui, on joue à Sorcellerie alors vous n'allez pas faire les superstitieux timorés, non ?
La séance se fera à partir de deux joueurs dispos, ceux qui ne peuvent pas être là, envoyez moi un mp pour me faire part de vos choix à partir du message ci-dessus.

Voilà à vous.
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katell
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Message par katell »

je m'inscrute juste pour donner mon avis :mrgreen:
Ayant essuyer les plâtres a sorcellerie ! je recommande les bast c'est la classe a jouer !
Oniros
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Message par Oniros »

Merci Katell,

Mais, les plâtres étant essuyés, j'ai remodelé le système et pense l'avoir amélioré.
Alors j'espère que ce sera encore plus cool et pas seulement pour les Basts.
Oniros
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Message par Oniros »

Bon pour Sorcellerie, il reste une place à prendre. Viracocha s'étant retiré, un volontaire pour fermer le cercle ce serait bien, donc finalement 5 joueurs ça le ferait bien.
Nous avons :
Taline
Bacchus
Kyryahn
et Arkan
un de plus et c'est parti.

Personne ne m'a répondu pour ses dispos au sujet du 13 décembre afin de créer ou de finaliser les persos.
A vous.
Oniros
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Message par Oniros »

Bon alors comme apparemment nous sommes tous tombés d'accord pour ce soir (créat° PJs) je donne RDV au club (20H00) ce soir à :
Arkan (s'il n'est pas pris par le cyber)
Taline
Kyryahn
et Borax


A ce soir donc.
Oniros
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Message par Oniros »

Donc ça y est c'est fait, j'ai mes 5 protagonistes.
Je vais bientôt posté quelques infos sur la période historique concernée et chaque joueur aura en annexe de sa feuille un guide sur l'étiquette dans la société victorienne. Les fiches sont prêtes, il ne manque plus que vos historiques et vos illustrations.
Donc ce serait bien si vous pouviez m'envoyer ça par mp avant le 24 janvier, merci.

Je donne donc rdv à
Taline,
Kyryahn
Borax
Bacchus
et Arkan


le vendredi 24 janvier prochain à 20H00 pétante, pour le premier de mes 5 scénarii.

A plus
Oniros
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Message par Oniros »

L'époque Victorienne
Petite-fille de George III, Victoria succède, en 1837, à son oncle Guillaune IV. Elle est alors âgée de dix-huit ans et découvre un héritage des plus difficiles : une monarchie déconsidérée par le souvenir d’un George IV corrompu et d’un Guillaume qui, " dans sa vie privée, aurait fait un marin d’heureux caractère " ; une société bouleversée par la révolution industrielle, qui en est alors à sa deuxième phase du chemin de fer et de la métallurgie et qui grossit les villes de foules misérables et provoque l’émergence de " deux nations ", la bourgeoisie conquérante et le prolétariat, dans un même État : trois ans plus tôt, en réformant la loi des pauvres d’Élisabeth, on a encore accentué l’humiliation des indigents, contraints désormais, en principe, à se laisser embastiller dans des " asiles de travail ", les workhouses  ; les dissensions sont telles que la première année du règne voit l’éclosion de la Ligue contre les lois protectionnistes qui réunit les intérêts industriels contre les fonciers, et la naissance du mouvement chartiste, unissant petits-bourgeois et prolétaires dans la revendication d’une démocratie ; dans un pays que la déchristianisation menace, malgré la renaissance théologique du mouvement d’Oxford, où les grandes écoles et universités connaissent une crise qui fait crier à la décadence culturelle, seules la richesse et la puissance navale paraissent émerger ; de sombres prédictions annoncent pourtant les ravages d’une révolution sociale.
L’époque victorienne se définit ainsi comme celle de la réconciliation des Anglais entre eux, de la Couronne et du peuple, de la grandeur internationale, de la paix. L’adjectif " victorien " s’applique aussi à tous les aspects de la morale et des mentalités, qualifie une littérature et des arts. L’époque se voit parfois artificiellement dotée d’une unité qu’elle n’a pas connue, mais reste auréolée de la légende d’un âge d’or britannique, le dernier avant les souffrances du siècle de la guerre totale.
La période victorienne est un des sommets de l’histoire d’Angleterre, le triomphe d’un compromis dont l’esprit de réforme est le moyen. L’Angleterre s’engage dans une période de prospérité sans précédent. La vapeur sur terre et sur les mers donne à la production un essor décuplé par l’avance qu’elle a prise sur les autres nations ; sauf l’expédition de Crimée (1854-1855), elle fera l’économie de la guerre. La rançon de la prospérité victorienne sera un matérialisme curieusement fondé sur le compromis " Dieu et Mammon ". Le mouvement évangélique, issu du méthodisme, diffuse un esprit foncièrement réformateur, un code d’éthique puritaine où la philantropie est justification de la puissance et de l’argent. L’orgueil national ainsi formé, sécularisé en respectabilité, devient une force de cohésion et un élan, où le zèle religieux rejoint curieusement la foi dans la raison de l’utilitarisme, la grande doctrine rivale. D’autre part, le conflit entre science et religion sépare ces deux forces ; la seconde prépare et nourrira le rationalisme de la fin du XIXe siècle ; la première contribuera à la renaissance religieuse, au mouvement d’Oxford. Toutes deux, par des voies différentes, entretiennent un optimisme dont il ne faut pas exagérer la portée, car, en cette ère victorienne, chaque mouvement engendre son contraire, créant une riche complexité au profit de groupes différents : à la bourgeoisie la satisfaction complaisante, l’anxiété et le doute aux penseurs. L’optimisme s’accomodera du réalisme, dont le nom est importé de France vers 1853, parce que la bourgeoisie, principal consommateur du roman, le purgera de toute allusion risquée qui en empêcherait la lecture à haute voix dans le cercle de famille. Thomas Hardy, dans les années 1890, souffrira de cette hypocrisie, tandis que Mrs. Grundy, divinité de la pruderie, profitera d’une présence féminine pour introniser les vertus domestiques. Le roman agit sur le grand public à la manière de la télévision moderne, et cela grâce à des conditions nouvelles de vente, la publication en feuilletons mensuels, au prix maximal de un shilling, d’œuvres de Charles Dickens, de Mrs. Gaskell, d’Anthony Trollope, etc. C’est un moyen d’information sur les questions sociales, politiques et morales, tout comme le lancement de collections de livres à bon marché et de bibliothèques circulantes, efficaces et dynamiques comme " Mudie ". Des périodiques spécialement réservés à la classe moyenne, surtout la Library of Useful Knowledge,  diffusent une culture d’ordre pratique, à l’usage des masses laborieuses dont s’occupera l’Éducation Act de 1870. Cette avidité, cette soif de connaissances est la grande caractéristique de ce XIXe siècle, sa contribution à la civilisation, car elle a survécu, en notre temps, à l’idée contestée de progrès.
En mettant l’accent sur " savoir " (to know ) de préférence à " sentir " (to feel ), l’ère victorienne se distingue de l’âge précédent, mais en garde les impulsions centrales qui se propageront à travers la période de déclin du victorianisme. Dans ses premières phases, celui-ci extrait du romantisme une force de contrepoids contre le matérialisme – d’où l’élan de protestation généreuse qui entraînera la réaction idéaliste – et aussi contre la philosophie utilitariste qui n’a que mépris pour le surnaturel, l’esprit religieux et la poésie.
Avant de quitter ces généralités qui ont mis plus d’ordre et d’enchaînement que n’en comporte une réalité aussi complexe et mouvante, il faut donc préciser que la littérature dite victorienne a pris son départ en un temps de reflux. En 1832, Keats, Shelley, Byron, Hazlitt sont morts ; Coleridge et Lamb meurent deux ans après. Southey, De Quincey, Leigh Hunt sont des témoins du passé romantique ; Carlyle, Macaulay, Disraeli sont déjà bien connus ; Dickens est encore journaliste, Tennyson a vingt-trois ans, Browning vingt.

1. Histoire
Les années difficiles
Les années de jeunesse, entre 1837 et 1851, sont celles d’une difficile stabilisation politique et sociale, d’une série de crises sérieuses, mais aussi de réformes majeures et d’une intense vie de l’esprit.
Benjamin Disraeli, jeune auteur de Sibyl ; or, the Two Nations  (1845), constate l’existence d’un peuple d’esclaves blancs dans une Angleterre socialement divisée. On vit en effet l’époque des grands barons de l’industrie et du commerce, austères, durs pour eux-mêmes, souvent recrutés dans des groupes religieux intégristes, capables d’accumuler l’épargne qui autorise l’autofinancement de leurs entreprises. Ils complètent par une haute bourgeoisie les rangs d’une classe supérieure toujours ouverts aux aristocrates. Les classes " moyennes ", au niveau inférieur, s’inspirent de leur exemple. Et le fossé se creuse, souligné par une croissante ségrégation de l’habitat dans les grandes cités. Alors que le premier syndicalisme s’est effondré depuis 1835, il ne reste aux exploités que la révolte ou l’espérance démocratique. Les classes supérieures ont l’impression de vivre sur un volcan. En outre, nombre d’observateurs soulignent le déclin de la pratique dans les classes laborieuses. En 1851, la Chambre des lords autorise un recensement religieux dont les résultats, publiés en 1853, jettent une lumière crue sur le passé : on fait alors le constat que la moitié des Anglais, les trois quarts des citadins ou des habitants de régions industrielles, ne pratiquent plus. Toute une morale traditionnelle paraît atteinte, et, avec elle, l’ordre social.

L’apothéose de l’époque victorienne
L’apothéose de l’époque victorienne coïncide avec les décennies du milieu du règne, de 1851 au début des années 1870. La coupure n’a pas toujours été perçue par les contemporains ; mais, progressivement, la peur a fait place à l’espérance d’un âge d’or et d’une harmonie sociale.


La réussite politique

La Couronne contribue à l’évolution d’abord par la dignité de la famille royale, dont la simplicité contribue à renforcer l’adhésion populaire. Jusqu’en 1861, Victoria est à la fois épouse aimante du prince Albert, fait prince consort en 1857, et mère exemplaire de leurs neuf enfants ; devenue une veuve inconsolable, elle inspire d’autant plus de respect qu’elle s’acquitte avec une ardeur constante à exercer son métier de reine, toujours informée, avide de distribuer ses conseils, écoutée dans ses mises en garde parce que de plus en plus expérimentée. Elle sait laisser agir ses Premiers ministres et connaît, après une période incertaine, l’avènement en 1867 de deux nouveaux chefs de parti, Benjamin Disraeli à la tête des conservateurs et William Gladstone qui, chez les libéraux, après un bref intermède, relève le flambeau abandonné en 1865 par Palmerston mort à la tâche à l’âge de quatre-vingt-un ans. En 1867, précisément, Disraeli, avec clairvoyance, fait le pari décisif de l’évolution démocratique : alors que, trois ans plus tôt, la Ire Internationale s’est consitutée à Londres, il choisit de combattre la révolution par le bulletin de vote et fait accorder, dans un premier temps, le droit de vote à un million de non-propriétaires, l’aristocratie de la classe ouvrière ; il considère que les " inférieurs " voteront pour leurs " supérieurs " à condition que leurs mérites soient visibles, que des réformes sociales garantissent la confiance des masses, qu’un grand dessein, l’expansion impériale, vienne transcender les clivages sociaux. Gladstone, imbu de justice et d’esprit de fraternité chrétienne, partage ses vues sur l’ouverture du régime et, en 1872, fait instaurer le scrutin secret. Pour l’un et l’autre partis, qui se fondaient jusqu’alors sur des groupes militants réduits, particulièrement, dans le cas des libéraux, sur des sociétés non conformistes, il importe désormais de faire naître les puissantes machines électorales de nature à convaincre et à gagner.

La conquête d’un âge d’or

Ce qui a facilité l’évolution, c’est un changement certain de la condition et des mentalités ouvrières. L’époque est celle où le Royaume-Uni, grâce à une politique systématique de libre-échange, conquiert les marchés extérieurs et devient l’" atelier du monde " ; le travail abonde dans un pays qui, en 1870, à lui seul fournit la moitié du charbon et de la fonte produits dans le monde, a porté à 22 000 km son réseau ferroviaire en 1871, possède une flotte de commerce double de l’américaine et triple de la française en 1874, pratique des échanges extérieurs pour une valeur supérieure, en 1870, aux échanges français, allemand et italien additionnés, transforme ses villes en les éventrant pour y faire pénétrer le chemin de fer ; les crises ont de moins en moins d’ampleur, d’aucunes, comme la " famine " (pénurie) du coton de 1862-1865, sont liées à des accidents, en l’occurrence la guerre civile américaine ; les salaires réels progressent enfin. Les ouvriers les mieux payés découvrent le chemin de la sécurité par l’adhésion à des syndicats qui, sur le modèle de celui des mécaniciens né en 1851, sont aussi bien des mutuelles d’assurances : 200 000 syndiqués en 1862, près d’un million et demi douze ans plus tard constituent une force impressionnante, d’autant qu’après les confédérations locales, telles que le Trades Council de Londres, la Confédération intersyndicale nationale (le Trades Union Congress, ou T.U.C.) est créée en 1868. Adhérents un moment de l’Internationale, les syndicats y renoncent dès 1867, bénéficient en 1871 de la reconnaissance légale, en 1875 d’une relative liberté de grève, et poussent à des réformes, dont la loi " employeur et ouvrier " de 1874 qui remplace l’inégalitaire loi " maître et serviteur " pour l’organisation des contrats civils de travail et leur exécution. Les prolétaires doivent aussi être les premiers bénéficiaires de la loi Forster sur l’éducation de 1870, qui, sans instaurer l’obligation ni la gratuité de l’enseignement primaire, le met désormais à la portée de tous par la création d’au moins une école dans chaque paroisse, Du coup, la foi dans les vertus du capitalisme n’habite plus seulement les bourgeois. D’autant que tous bénéficient des efforts pour améliorer l’habitat, développer l’hygiène publique, créer des adductions d’eau et des égouts dans les cités, Londres relevant d’ailleurs, à partir de 1855, du Metropolitan Board of Works, organisme unique de travaux publics. On est loin du paradis social. Gustave Doré, par ses croquis de 1869, témoigne de l’existence de poches de misère considérable dans Londres. Les workhouses  continuent d’épouvanter leurs éventuels bénéficiaires, et Dickens les dénonce dans ses romans comme le font les " observateurs sociaux ", tel Henry Mayhew en 1863, dans leurs explorations des bas-fonds. Chaque ville est aussi lieu de criminalité et de délinquance, sans atteindre au rôle de Babylone moderne assumé par Londres qui est le lieu de tous les vices, de tous les plaisirs, d’une prostitution à étages multiples, et d’où les pourvus commencent à fuir vers des quartiers nouveaux, des faubourgs, de proches banlieues.
Il n’en demeure pas moins que c’est dans cette période que se précise et s’organise ce qu’on a appelé la morale victorienne. Inspirée du vieux fond puritain de la bourgeoisie, elle repose sur l’exaltation de la cellule familiale, sans que la prostitution soit nécessairement perçue comme contraire à la qualité des liens familiaux ; elle se fonde sur la valeur-travail, qui trouve son génial propagateur en Samuel Smiles, auteur du best-seller des années 1860, Self Help , où est exalté l’effort, créateur de bonheur ; elle dénonce les vices, en particulier l’alcool, que des sociétés de tempérance combattent par tous les moyens, y compris les pressions sur les candidats à la députation ; elle lie progrès et vertu, grâce divine et force individuelle. Dans les grandes écoles privées, réservées aux fils d’aristocrates et de grands bourgeois, et réformées selon les principes de Thomas Arnold, principal de Rugby de 1828 à 1842, on privilégie la formation du caractère, les jeux sportifs, l’esprit de fair-play, la camaraderie virile, la culture de gentleman qui exige la connaissance des grands classiques davantage que des sciences. La peur du sexe est partout répandue, la pudibonderie est à la mode, les accommodements discrets. L’esprit pratique n’est jamais absent : il permet par exemple, dans les années 1860, dans les classes moyennes si imbues d’esprit familial, de justifier la régulation des naissances et la diminution du nombre des enfants au nom même de l’amour qu’on leur porte et de l’avenir qu’on veut leur préparer.

L’expansion mondiale
Les vertus nationales, l’ambition des cadets de famille, le refoulement d’instincts et l’exaltation d’un dynamisme de compensation contribuent à entretenir une flamme conquérante et à nourrir les administrations et armées coloniales de cadres efficaces, orgueilleux de leur appartenance nationale, imbus d’un esprit de supériorité traduit dans la certitude d’être des porteurs de civilisation... et dotés de suffisamment d’avantages matériels pour accepter de longues périodes d’exil. À cette époque, les partisans d’une " petite Angleterre " soulignent l’inutilité des colonies dans un temps de libre-échange généralisé, mettent en relief les apports de colonies sans drapeau et de marchés sans les embarras de la responsabilité : on va bien, en 1867, jusqu’à doter le Canada de l’autonomie interne et du premier statut de dominion, l’impérialisme a pu revêtir ces formes " silencieuses ", mais de nouveaux pans d’Empire, des millions de kilomètres carrés, n’en sont pas moins acquis, et, en Inde, après la révolte des Cipayes et la fin de la Compagnie des Indes, la Couronne a pris le relais, permettant en janvier 1876 à Victoria de devenir l’impératrice du sous-continent indien. Développant son action en Asie, où la guerre de l’opium lui a valu, en 1842, Hong Kong et où toutes les occasions sont bonnes, dans les années 1860, pour étendre les emprises commerciales, bénéficiant de l’ouverture du Japon, développant ses colonies australiennes et néo-zélandaises, la Grande-Bretagne est une grande puissance dans le Pacifique comme ailleurs et ses flottes garantissent sa  " liberté des mers ". Si Palmerston et ses successeurs ont eu le tort de ne pas comprendre le projet du canal de Suez, Disraeli rattrape l’échec en rachetant, en 1875, les actions du khédive d’Égypte. Puissance pacifique et orgueilleuse à la fois, la Grande-Bretagne a victorieusement, et coûteusement, assumé sa part de la guerre de Crimée en 1855-1856, a arbitré un conflit franco-allemand sur le Luxembourg en 1867 en étendant au grand-duché une garantie de neutralité rappelant celle qui a été accordée à la Belgique en 1834 ; elle demeure neutre en 1870-1871 et laisse se constituer l’Empire allemand, alors tourné vers le continent et paraissant capable d’équilibrer les ambitions des tsars. En fait, les idées de Cobden sur le commerce, instrument de paix entre les peuples, et un empirisme de tous les instants, qui fait naître dès 1865 l’esprit de négociation et de compromis, inspirent un grand sang-froid aux responsables britanniques.

Le rayonnement intellectuel
Un quart de siècle aussi brillant ne pouvait que contribuer à l’épanouissement de l’esprit et permettre d’évoquer un nouvel âge élisabéthain. Sans chercher à rappeler tous les grands noms, on retiendra quelques individualités ou écoles. La pensée scientifique connaît sans doute avec Charles Darwin, dont L’Origine des espèces  est publiée en 1859, un tournant décisif des sciences de la vie, mais aussi la source de nouvelles incertitudes religieuses, qui mènent au modernisme de Charles Gore dans les années 1880, et aussi l’inspiration involontaire du " darwinisme social " : ses thèses élitistes et prônant une supériorité raciale éclosent et se répandent à la fin du siècle. Les débats théologiques suscitent par ailleurs une intense fermentation : dans le monde catholique, en pleine renaissance, enrichi de milliers de convertis à l’exemple de J. H. Newman en 1845, traversé de fulgurantes tentations modernistes, agité par les premières approches œcuméniques ; dans les milieux protestants, affrontés comme les autres à un renouveau prodigieux des études historiques et à la découverte et publication par l’équipe de Max Muller à Oxford, dans les années 1870, des grands textes de la philosophie hindouiste ; exposés par ailleurs à la " séduction " des thèses romaines, opportunément disqualifiées à partir de la proclamation de l’infaillibilité pontificale en 1870, divisées sur les méthodes de reconversion des masses et sur les interprétations sociales de la prédication du Christ. Les arts, qui vivent la poussée néo-gothique en architecture et la flambée du préraphaélitisme en peinture, illustrée par D. G. Rossetti, Burne-Jones, J. E. Millais, W. H. Hunt, ont découvert leur critique de génie en John Ruskin. La diversité de la réflexion sur la société fait ressortir la grandeur et l’influence de John Stuart Mill. Pendant que les universités, alimentées par le renouveau des collèges secondaires, reprennent vigueur, que Cambridge et Oxford, toujours sans pareilles, se voient pourtant complétées par de nouvelles fondations, surtout à Londres, tout paraît témoigner de la vanité des craintes antérieures de sclérose intellectuelle d’une société dévorée par la soif de la réussite matérielle. L’éclat de la littérature, toujours illustrée par Charles Dickens, la vitalité d’une presse qui, depuis 1855, a vu disparaître des taxes exorbitantes et multiplie titres et nombre d’exemplaires du Times  au Daily Telegraph , de Punch  à l’Illustrated London News , tout renforce le sentiment d’une grande renaissance intellectuelle.

La crise de la fin du règne
L’époque " tardive ", du milieu de la décennie 1870 à la mort de Victoria, révèle la fragilité de l’optimisme qui, malgré tout, était devenu un point majeur de la mentalité des Britanniques.

La " grande dépression "

Les premiers doutes ont à coup sûr pour origine la première crise mondiale de l’économie capitaliste, la " grande dépression ". Pendant plus de vingt ans, avec des sursauts de reprise économique et de nouvelles plongées dans la crise, de 1873 à 1895 au moins, on sort du long cycle de croissance pour entrer dans un nouveau cycle de récession : les taux moyens de croissance se situent autour de 1,5 p. 100 par an, mais ils ne rendent pas compte d’évidentes variations sectorielles. Le maître mot est " concurrence ", elle frappe de plein fouet l’agriculture, surtout dans le domaine céréalier, un peu moins les éleveurs qui bénéficient de l’abaissement des coûts du fourrage ; elle est le fait des pays neufs des deux Amériques, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, de l’Ukraine russe. Elle est trop générale pour permettre la conversion ordinaire de cultures en pâtures, elle se traduit par une chute des prix qui ruine les fermiers, met en difficulté les propriétaires et, surtout, les touche dans leur capital même avec l’effondrement des prix de la terre ; elle entraîne une réduction de moitié des espaces emblavés, une baisse de 29 p. 100 de la population active agricole ; elle ne se résout que par la spécialisation dans des productions moins directement exposées. Les effets de cette compétition sont aussi visibles dans l’industrie et le commerce : l’industrie américaine dépasse l’industrie britannique en 1890, l’industrie allemande l’imite en 1896, date à laquelle le made in Germany  est devenu un label de cauchemar. Le libre-échange demeure pourtant le principe intangible, quand les protectionnismes gagnent partout : au début des années 1880, les fair-traders  échouent à faire admettre leur plaidoyer en faveur de la réciprocité des avantages tarifaires. Tout n’est pas sombre. La conquête de nouveaux marchés restaure quelque peu le commerce extérieur et une balance des comptes positive est garantie par l’importance croissante des investissements à l’étranger, qui se substituent largement aux nationaux, et par la gamme des revenus invisibles. Une révolution commerciale survient dans la vente au détail et procure une clientèle " indigène " aux industries en difficulté : d’autant que l’amélioration du pouvoir d’achat née de la baisse des prix alimentaires se traduit par l’augmentation des dépenses de consommation de produits transformés. Le chômage connu, qui a dépassé souvent 10 p. 100 des salariés syndicalisés dans les années 1880, retrouve, à l’aube du siècle, des taux plus normaux, de l’ordre de 3 à 5 p. 100. L’émigration a été un exutoire recommandé et pratiqué. La morosité n’en est pas moins devenue la marque de la fin d’une époque. D’autant que le génie des entrepreneurs d’antan paraît limité aux innovateurs dans les branches nouvelles de l’électricité, de la propulsion mécanique, des industries de consommation, et que les fils des grands barons de l’industrie traditionnelle semblent se muer en rentiers avides de loisirs et paresseux : ce qu’on aurait tendance à expliquer par une éducation inadaptée au nouveau monde scientifique et technique, mais aussi par la petite taille des entreprises, l’insuffisance des liens entre banques et entreprises, la conscience que la main-d’œuvre abondante ne justifie pas des investissements mécaniques aussi développés qu’aux États-Unis.

Les luttes sociales
La crise économique a relancé d’inévitables conflits de classes. Peu préparés à des luttes sévères et victimes de la conjoncture, les syndicats sont impuissants à prévenir des réductions de salaires et des licenciements, leur idéologie comme leur appareil paraissent du coup inadaptés. Les idées socialistes, fort peu influentes malgré la présence à Londres de Karl Marx, qui y meurt en 1883, connaissent une considérable propagation : H. M. Hyndman, en 1881, apporte sa version anglicisée du marxisme révolutionnaire et, fondateur deux ans plus tard de la Fédération social-démocrate, porte la lutte sur le terrain politique ; William Morris, qui le rejoint au départ pour l’abandonner en 1885 au profit, provisoire, d’un courant anarchiste, contribue à alimenter la révolte par son émotion esthétique et par ses rêves utopiques ; rationalistes et pratiques dans leur démarche, les fabiens, rassemblés autour de G. B. Shaw, H. G. Wells, B. et S. Webb, exposent en 1887 un programme " gradualiste " de transformation de la société à la lumière des vérités qu’ils entendent propager sous la forme de brochures et d’études de cas ; le christianisme social joue un rôle important et sous-tend, à partir de la fin des années 1880, l’action socialiste de James Keir Hardie, ardent prophète d’un syndicalisme rénové, fondateur en 1893 du Parti travailliste indépendant. Les syndicats, entrés avec le " nouvel unionisme " dans l’ère socialisante à partir de 1889, un an après la grève des dockers de Londres, recrutent désormais aussi dans la masse des non-qualifiés et sont en mesure d’organiser des grèves impressionnantes. En 1900, syndicats et mouvements socialistes se fédèrent au sein d’un comité pour la représentation des travailleurs, qui est l’origine du Parti travailliste. Il n’est jusqu’à la vie religieuse, avec la création, dans les années 1890, de l’" Église des travailleurs ", qui ne dénote la poussée d’une conscience de classe. Le bourgeois a pu s’émouvoir de scènes désormais passées dans la légende " rouge " de l’Angleterre : ainsi, le drapeau rouge brandi en 1886 à Trafalgar Square prélude à deux années de dures manifestations de rue des chômeurs sous la houlette des chefs de la Fédération social-démocrate. C’est pourtant à la même époque que naît la petite bourgeoisie de la boutique et de l’emploi commercial, de l’enseignement primaire, et celle des employés de bureau, qui comporte le ralliement de larges fractions ouvrières à la morale victorienne et au souci de " respectabilité ", dans la " déférence envers les supérieurs ", et qui a vu le triomphe du malthusianisme familial. Les contradictions sont ainsi énormes, soulignées aussi par les résultats, dans les années 1890, de grandes enquêtes sociologiques urbaines, celle de Charles Booth à Londres, celle de Seebohm Rowntree à York, et qui toutes soulignent qu’un quart à un tiers des travailleurs vivent " au seuil de l’indigence " et, dans le cas de York, illustrent la thèse désormais fameuse des cycles familiaux : au cours de sa vie, chaque ouvrier est amené à passer par des cycles successifs d’indigence ou de relative prospérité, selon son âge, celui de ses enfants, la taille de sa famille.
Affrontées à de telles réalités et menaces, les élites sociales réagissent. Par l’observation et la dénonciation parfois. En 1883, le pasteur Andrew Mearns publie sa Plainte amère du Londres de la déchéance  ; l’Armée du salut, organisée en 1878, donne l’exemple d’une évangélisation teintée de plus en plus de charité et laisse son premier général, William Booth, dénoncer en 1890 dans La Plus Noire des Angleterres  le " dixième immergé " de la société britannique. Après un dernier effort, dans les années 1870, pour imposer l’assistance en asile, on en revient de plus en plus au secours à domicile. Donnant l’exemple dans la ville de Birmingham, dont il est le maire en 1874, Joseph Chamberlain crée le modèle du socialisme municipal : écoles, hygiène publique, logements, santé sont, selon lui, l’objet de l’attention et des mesures d’autorités locales. Dans les années 1880, devenu l’un des grands chefs de l’aile " radicale " du Parti libéral, il met l’accent sur un programme de socialisme d’État, qui paraît encore trop audacieux à son chef de file, William Gladstone, mais qui contribue à l’évolution des esprits, au vote de premières lois de protection des ouvriers, à des mesures collectives en faveur de la guerre aux taudis. Surtout, en 1888, la réforme de l’administration locale confie à des autorités élues de comtés et bourgs-comtés la responsabilité des principales améliorations à apporter à l’environnement et au logement. Le Conseil de comté de Londres se révèle, à partir de 1889, particulièrement progressiste à cet égard. On ne va jamais très loin, bien moins qu’en Allemagne à la même époque ; on refuse tout système d’assurance sociale généralisé, on n’accepte pas la revendication de la journée de huit heures qui est celle du mouvement du travail à partir de 1889. Dans l’État capitaliste, on s’effraye encore à l’idée d’augmenter les très modestes impôts sur le revenu ou sur les successions, on ne veut pas toucher à l’autorité des propriétaires fonciers ; des libéraux invétérés, tel Alfred Marshall en 1885, rendent les pauvres et leurs vices responsables de leur misère.

Démocratie et révolution

Ce n’est pas un hasard si, à défaut de grandes mesures sociales, on tente de développer l’appât d’un système démocratique. En 1885-1886, au prix d’un difficile consensus entre les partis, obtenu grâce à l’intercession de la reine, une nouvelle réforme électorale accorde le suffrage universel aux hommes, sous réserve qu’ils vivent dans un logement indépendant, depuis un an au moins dans la même résidence, qu’ils ne soient ni domestiques, ni criminels, ni fous ; cinq hommes adultes sur huit répondent à ces exigences. Bien que l’indemnité parlementaire n’existe pas, avec l’aide des syndicats et grâce à un choix politique délibéré du Parti libéral, les premiers travailleurs ont été élus aux Communes à partir de 1874 : Keir Hardie, élu député en 1892, est le premier ouvrier authentique à sièger sans l’aide d’un parti bourgeois. Une redistribution des sièges, l’adoption quasi générale du scrutin uninominal à un tour apportent d’autres touches à cette volonté de démocratisation. On soulignera que cette révolution n’a pas créé de choc, tant les élites s’étaient, à juste titre, persuadées de leur capacité à obtenir la plupart des suffrages de la masse. Les conséquences ne sont pas minimes. Les chefs de parti, Randolph Churchill chez les conservateurs avant sa fatale maladie, lord Salisbury, sont contraints à un certain populisme, et c’est ce dernier, Premier ministre, qui fait instaurer la gratuité de l’éducation primaire en 1891. Le radicalisme se développe au sein du Parti libéral, avant que la scission des partisans de Joseph Chamberlain, entre 1886 et 1889, n’affaiblisse quelque temps ce courant de réforme sociale. Surtout, la question irlandaise resurgit : après des concessions foncières majeures en 1880-1881, Gladstone, à deux reprises, en 1886 et en 1892, tente de faire voter le Home Rule, échoue devant l’opposition des Lords dans sa seconde tentative : à la chambre, la forte minorité, près de quatre-vingts députés, des nationalistes irlandais menace dès lors d’imposer son arbitrage dans la vie nationale tout entière. La qualité des élites politiques, le rejet de l’esprit révolutionnaire dans les masses ajoutent cependant leurs effets à la popularité toujours croissante de la Couronne : les deux jubilés de Victoria, en 1887 et en 1897, sont l’occasion de formidables manifestations d’affection et de loyalisme. Les plus déçues sont les féministes : les mouvements de " suffragettes " commencent à s’exprimer avec une véhémence qui va croissant.

Le déchaînement impérialiste
On ne saurait minimiser la part jouée par le développement d’un impérialisme de masse dans une harmonie naissante de la société. Les réalités du monde de la concurrence apportent de l’eau au moulin de ceux qui, à l’instar de Charles Dilke dès les années 1860, rêvent d’une " plus Grande-Bretagne ". Les " impérialistes de la chaire ", les historiens J. A. Froude et J. Seeley, entraînent dans leur sillage les commerçants et industriels regroupés dans leurs influentes chambres de commerce, rallient de plus en plus de politiques, libéraux comme A. Rosebery ou H. H. Asquith, conservateurs comme le rallié unioniste Chamberlain, ils séduisent poètes et romanciers, de Rudyard Kipling à George Bernard Shaw qui, pour sa part, n’est pas sans être sensible à la prophétie d’un monde réservé aux géants ; le darwinisme social joue son rôle, mais aussi l’exotisme que la Société royale de géographie s’emploie à propager dès 1830, relayée depuis 1869 par la Société coloniale. L’orgueil national s’en mêle à propos de conflits extérieurs, dont la crise orientale de 1878 qui fait pousser des cris outragés dans les music-halls où naît la chanson populaire employant pour la première fois le mot " jingo " et d’où sort l’expression " jingoïsme ", expression d’un chauvinisme exacerbé. Les exemples d’Athènes et de Venise font rêver d’une grande thalassocratie que permettrait l’indéniable maîtrise des mers, garantie en 1889 par l’adoption du two power standard  : la flotte britannique doit constituer l’équivalent en tonnage des deux plus puissantes flottes mondiales classées après elle. L’expansion n’a pas toujours été voulue, Gladstone a été le plus réticent. Elle est parfois le fruit de premiers efforts : de la possession partielle de Suez, on passe ainsi en 1882 à l’occupation effective de l’Égypte, dont la protection exige des conquêtes ultérieures en direction du sud. L’action en Afrique australe de " nouveaux conquistadores ", à l’exemple de Cecil Rhodes, stimule bientôt l’idée de réaliser un grand axe Le Cap-Le Caire. À partir de 1895, inquiet par ailleurs des ambitions rivales des Russes, des Français, des Allemands, les Britanniques adoptent un impérialisme systématique, sous l’impulsion du ministre des Colonies de lord Salisbury, Joseph Chamberlain. Le risque de la guerre n’est pas exclu : elle manque d’éclater contre la France, pour Fachoda, en 1898. Elle mobilise des armées de plus en plus nombreuses à partir de 1899 pour l’acquisition des Républiques boers, dont Victoria ne contemplera pas l’annexion, réalisée plus d’un an après sa mort. Ce " panbritannisme " inquiète les étrangers, mais stimule l’unité nationale : de grandes associations, telle la Primrose League, dont les adhérents, à la fin du siècle, approchent les deux millions, popularisent un Empire dont l’expansion paraît garantir puissance, prospérité, emplois. La nouvelle presse populaire à sensation, née en 1896, soutient à fond l’impérialisme. En pleine guerre des Boers, en 1900, l’élection " kaki " donne une immense victoire aux conservateurs, tenants du nationalisme en marche, contre un Parti libéral plus divisé, dont le chef, H. Campbell-Bannerman, a exprimé ses réserves à propos des objectifs et méthodes du conflit. Il y a contradiction entre cette grande politique coloniale et les signes certains d’un affaiblissement dans le monde, dû aux réalités économiques comme à la constitution de systèmes d’alliances en Europe continentale. Les Britanniques, en 1895-1896, dans l’affaire du Venezuela, doivent se résoudre à un arbitrage américain ; inquiets de l’alliance franco-russe de 1893, soucieux de voir se consolider l’alliance austro-allemande quand, en 1897, l’Allemagne déclenche une course aux armements navals, la Grande-Bretagne n’est peut-être pas assurée que le " splendide isolement " soit encore une bonne chose et rêve elle aussi d’alliances ou d’ententes qui ne se concrétisent pas sous le règne victorien. Le " Titan est fatigué ", il rêve de coopérer aussi davantage avec ses grandes dépendances de peuplement européen, avec lesquelles, à partir de 1887, il se concerte dans les conférences coloniales. Le Royaume-Uni sait son Empire bien fragile par endroits ; ainsi en Inde où, en 1885, le Parti du Congrès a vu le jour et où des nationalistes hindous et musulmans espèrent encore que la métropole sera fidèle aux grands idéaux des droits de l’homme et de la liberté des peuples : en 1901, le temps de la patience y est pourtant compté.

La fin d’un monde
" Grand-mère de l’Europe ", Victoria, dans ses dernières années, contemple un monde de plus en plus déchiré. Petite femme tassée, toujours de noir vêtue, elle n’abdique rien de son autorité. Elle s’émeut de tout, attend rapports et informations sur tout, ne concède aucune autorité au prince de Galles. Sa présence sur le trône contribue sans doute à fausser quelques perspectives. Parce qu’elle est toujours farouchement attachée aux choses de la religion, on s’imagine l’Angleterre reconquise au christianisme par les gigantesques efforts missionnaires de toutes les Églises et sectes : en 1901, l’irréligion caractérise probablement au moins trois Britanniques sur quatre. Parce qu’elle est elle-même d’une morale rigide, on s’aveugle devant la montée d’une société plus fiévreuse et plus avide : même si les juges n’hésitent pas à faire subir à un Oscar Wilde, dans les années qui suivent, une loi sur l’homosexualité, une déshonorante condamnation à deux ans de bagne en 1895. Sous prétexte qu’elle s’entoure surtout de représentants de l’élite traditionnelle, on n’a pas toujours conscience de l’étonnante fusion de l’aristocratie et de la haute bourgeoise, symbolisée par l’accession à la pairie de nombre de dirigeants de grandes entreprises dans les années 1890, et qui annonce un monde où l’or serait roi. Les contemporains ont hésité à définir une Grande-Bretagne qui fascine encore le monde, qu’elle contribue largement à peupler, équiper, doter de sa langue. Les uns sont sensibles aux traits de modernité, à la puissance financière, aux aspects les plus frappants de la technique moderne, à la domination des mers. D’autres la voient déjà sur la pente de la décadence et, bizarrement, à l’instar de leurs ancêtres qui dénonçaient la " barbarie " de l’Angleterre industrielle, voient dans ses entreprises coloniales l’indice d’un retour à un temps d’énergie primaire et de soubresauts désespérés. Avec Victoria disparaît une époque " qui avait si bien couvert d’or la liberté individuelle qu’avec de l’argent on était libre en droit et en fait, et sans argent on était libre en droit et pas en fait. Une ère qui avait si bien canonisé l’hypocrisie que, pour être respectacle, il suffisait de le paraître. Une grande époque à l’influence transformatrice de laquelle rien n’avait échappé, sauf la nature de l’homme et la nature de l’Univers " (John Galsworthy).
2. Littérature
Pensée
La littérature victorienne, conditionnée par le climat de l’époque, reçoit son empreinte profonde des forces intellectuelles nouvelles. La prose domine, propice à l’exposé des problèmes religieux et des controverses que pose la pensée scientifique face à l’idéalisme. Mill (1806-1873) représente, en l’assouplissant, l’utilitarisme ; Darwin (1809-1882) l’évolutionnisme dont l’influence est la plus féconde du siècle. La géologie nie que la création du monde date de quatre mille ans. Herbert Spencer (1820-1903) édifie une histoire génétique de l’univers, ambitieuse mais moins efficace que l’œuvre de cet admirable décanteur d’idées qu’est Thomas Henry Huxley (1825-1895), biologiste, théologien, pédagogue. L’histoire garde des liens avec le romantisme de Walter Scott, mais s’oriente vers l’interprétation sociale et économique avec Thomas Babington Macaulay (1800-1859) et philosophique aussi avec Henry Thomas Buckle (1821-1862), disciple de Comte. La critique, appliquée à la société, la pensée religieuse, la littérature trouvent en Matthew Arnold (1822-1888) un esprit nourri de classicisme et élargi par le cosmopolitisme, l’influence de Goethe et de Sainte-Beuve. Thomas Carlyle (1795-1881), correspondant de Goethe, se fait le propagateur d’un germanisme qui imprègne sa doctrine du héros et son style, riche de fulgurations prophétiques et d’effets à la Rembrandt. En contraste complet, Newman (1801-1890) représente, par les voies de la logique et d’une intuition toute bergsonienne, une dialectique subtile, personnelle dans son admirable autobiographie Apologia pro vita sua  (1869), générale dans son Essay on the Development of Christian Doctrine  : 1845, date de sa conversion au catholicisme, donc de la victoire du mouvement d’Oxford. Ruskin (1819-1900) prépare le triomphe de l’esthétisme par sa défense de Turner et des préraphaélites et son propre style somptueux, mais sa philosophie de l’art est plus gênée qu’enrichie par son généreux prophétisme social moralisant.

Roman
Le roman victorien, patronné par la bourgeoisie, doit sa variété, sa vitalité et son originalité aux forces vives des artisans consciencieux et des génies qui lui assurent un triomphe autochtone incontestable mais non pas international. Le conformisme et l’isolationnisme retardent longtemps le plein épanouissement des méthodes réalistes pratiquées sur le continent. Dickens (1812-1870), réformateur efficace des tares sociales, frère des humbles, crée par son imagination et son humour des personnages qui ont le relief d’un Falstaff ou d’un Hamlet  : il est le génie le plus national que l’Angleterre ait produit avec Shakespeare. Autour de lui gravitent quantité de talents qui exploitent le "  roman social  " pour dénoncer l’industrialisme et le machinisme  : Benjamin Disraeli (1804-1881), observateur des "  deux nations  ", surtout de l’aristocratie en raison de ses fonctions de ministre  ; Charles Kingsley (1819-1875), fondateur de la "  Muscular Christianity  ", doctrine d’action issue de Carlyle  ; Mrs.  Gaskell (1810-1865), qui a pris avec la grande misère des villes un contact direct encore qu’insuffisant quant aux conditions économiques. Charlotte Brontë (1816-1855) a sa place ici par Shirley   (1849), mais Jane Eyre   (1847), autobiographie transposée, par sa passion maîtrisée transcende son époque. Sa sœur Emily (1818-1848) porte à son point d’incandescence les élans mystiques d’un amour dont la mort est l’assouvissement fatal  ; Les Hauts de Hurlevent   (Wuthering Heights  , 1847), malgré ses attaches avec le romantisme, est une très grande œuvre intemporelle. Thackeray (1811-1863) met en pratique un réalisme rival de celui de Dickens, mais visant un autre objectif  : la dissection swiftienne du snobisme dans une société dont il accepte la structure, ce que nous offre son chef-d’œuvre Vanity Fair   (1847-1848). Bien qu’il se réclame de la franchise de Fielding, il ne réussit pas à l’incorporer dans Pendennis  , qui aurait pu être un vrai Bildungsroman.   Le réalisme, prenant conscience de lui-même, favorise les interventions directes, les professions de foi chez Thackeray, Anthony Trollope, George Eliot et George Meredith. Anthony Trollope (1815-1882) est un romancier régionaliste et un peintre du clergé, admirable artisan et artiste dont la cote a grandi depuis la dernière guerre. George Eliot (Mary Anne Evans, 1819-1880) domine tout le roman victorien par son génie philosophique et les exigences de son réalisme psychologique au bénéfice des humbles  ; pour elle, le roman est "  élargissement de nos sympathies humaines  ", idéal pleinement accompli dans ses chefs-d’œuvre  : Adam Bede   (1859), Le Moulin sur la Floss   (The Mill on the Floss  , 1860) et Middlemarch   (1871-1872), ce dernier considéré par certains critiques comme le plus grand des romans anglais. Au fil du siècle, le roman en reflète fidèlement les tendances  ; le victorianisme, dans ses institutions religieuses et familiales, est attaqué de front par Butler dans son grand roman "  séminal  ", Ainsi va toute chair   (The Way of All Flesh,   1903), et dans son culte du machinisme par le biais du roman d’anticipation, précurseur de la science-fiction, Erewhon   (1872). Le socialisme communisant nous offre l’antithèse  : le roman rétrospectif moyenâgeux de William Morris, Nouvelles de nulle part   (News from Nowhere  , 1891). L’exotisme est une inspiration centrale chez Stevenson  ; exploité par l’art du génial conteur qu’est Kipling, il se met au service de l’impérialisme. C’est une très riche variété d’exotisme, mais dans le temps, que réalise le grand critique et esthète, disciple de Platon et de Hegel, Walter Pater, avec Marius the Epicurean   (1885, 1892). George Gissing fait violence à ses goûts d’érudit et applique un réalisme relativement audacieux aux questions sociales, au féminisme dans Femmes en trop   (The Odd Women,   1893), annonçant l’ère des "  suffragettes  ". La poésie et la philosophie, dans l’inspiration et dans la technique, imprègnent les œuvres romantiques de Meredith (1828-1909), y compris leur sommet, The Egoist   (1879), et celles de Thomas Hardy (1840-1928) qui donne à ses évocations régionalistes des dimensions épiques, ainsi dans Tess d’Urberville   (Tess of the D’Urbervilles  , 1891).

Poésie
La poésie, dans la littérature victorienne, a autant de densité et de variété que la prose. Matthew Arnold reprend à son compte la formule de Carlyle  : "  Ferme ton Byron et ouvre ton Goethe  ", mais il oublie ses attaques contre l’ignorance des romantiques et, comme tous ses contemporains, puise chez eux la sève nourricière de ses œuvres les meilleures  ; il vénère Wordsworth, comme Browning Shelley, comme Tennyson et Rossetti Keats. Mais chez tous les victoriens s’insinue l’"  élément moderne  " qu’est le levain du réalisme  : l’intensité et le pittoresque y gagnent, témoins les poèmes en dialecte de Tennyson, L’Anneau et le livre   (The Ring and the Book  , 1868-1869) de R.  Browning et les pastorales de A.  H.  Clough (1819-1861) et de Matthew Arnold, son ami, et tout particulièrement les compositions picturales et poétiques des préraphaélites. Rossetti, dans ses sonnets de La Maison de vie   (The House of Life  , 1881), Morris, dans les récits épiques moyenâgeux du Paradis terrestre   (The Earthly Paradise  , 1868) et ses sagas islandaises  ; Meredith, dans la série de pseudo-sonnets Modern Love   (1862), et Thomas Hardy, dans tous ses poèmes lyriques, accentuent le réalisme jusqu’à la névrose  ; sincère chez eux, et chez Swinburne (1837-1909), imprégné qu’il est d’authentique sadisme, elle devient procédé chez les décadents de la fin du siècle, tels J.  A.  Symonds (1840-1893) et Wilde (1854-1900). Un souci d’objectivité, correctif du romantisme confessionnel, restreint au minimum les "  cris du cœur  ". Browning rivalise presque avec Shakespeare comme "  amateur d’âmes  ", mais ses explorations psychologiques se font par procuration, par l’emploi du "  monologue dramatique  ", invention originale encore que trop intellectuelle pour aboutir à la pleine création théâtrale, et ce sera la grave carence de la littérature victorienne. La philosophie infuse dans The Prelude  , Endymion   et Prometheus Unbound   devient élément didactique très conscient, sous la forme d’idées, dénuées de toute frange poétique, témoins qu’elles sont du monde extérieur et des conflits qui l’agitent, par exemple le concept d’évolution, vague et hésitant chez Tennyson, "  Lucrèce moderne  " selon Huxley, mais non évolutionnisme scientifique, un peu plus précis chez Browning quand il déclare  : "  L’Homme n’est pas encore Homme  ", mais pleinement assimilé par le "  méliorisme évolutionniste  ", formule que Hardy substitue au mot "  pessimisme  ". Or, des controverses religieuses de l’exégèse allemande, de la maladie du doute, est né un pessimisme qui est nostalgie de la foi perdue avec Arnold (Dover Beach  , 1867) et vision dantesque d’un athéisme total avec James Thomson (The City of Dreadful Night  , 1874). Le courant de mysticisme catholique en reste indemne, dans le cas de Coventry Patmore, chantre serein de l’amour conjugal, mais non pas chez Francis Thompson torturé par l’angoisse et la misère physique. Les inquiétudes politiques et sociales profondément ressenties apportent aux poètes des occasions d’élans généreux  ; c’est ainsi que, dans Chants avant l’aube   (Songs before Sunrise  , 1871), Swinburne réussit une magnifique transposition de l’essai de Mill, On Liberty.   Tandis que Tennyson retrouve dans un Moyen Âge légendaire (Les Idylles du roi  ) le modèle d’une société régie par l’idéal chevaleresque et courtois. En littérature comme en architecture fleurit le courant néo-gothique. L’analyse détaillée des divers tempéraments individuels ne ferait que renforcer l’impression d’ensemble que la poésie victorienne est animée par un large pouvoir créateur qui se traduit par l’abondance, par la pratique de formes variées et par des recherches musicales qui vont de la pure mélodie tennysonienne aux vastes orchestrations polyphoniques de Swinburne, aux rythmes populaires de R.  Kipling et, risquons le mot, jusqu’aux effets de jazz qu’annonce le baroque de Browning. Terminons ce survol d’un âge littéraire que Louis Cazamian considère, "  entre tous ceux de l’Angleterre, comme le plus fort et le plus grand  ", par le rappel que le grand sérieux victorien compose une belle médaille dont il ne faut pas négliger le revers, la sévérité de la conscience morale farouchement opposée au plaisir, qui fige comportements et sentiments en des attitudes rigides dont seuls le comique, intellectualisé chez Meredith, et l’humour, fantastique de l’absurde chez Lewis Carroll et Edward Lear, viennent soulager la tension.
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